Des conseils pratiques pour une prise de poste réussie

Deux heures plus tôt mon vice président (mon « N+2 » de l’époque) m’a appelé. Il me demande un « service »: rencontrer les membres d’une équipe dont le manager vient de démissionner. Il souhaite que je me fasse un avis sur leur situation et obtenir des éléments pour voir comment les aider le temps qu’un nouveau responsable soit nommé.

Ils sont quatre et ne sont pas sur le même site que moi. Je leur propose un échange par teams, faute de mieux. Ils ne sont pas particulièrement bavards. J’essaye de les mettre à l’aise. Ils ne comprennent pas forcément ce que je fais là. Deux des quatre ne me connaissent pas du tout. Je leur précise qu’ils n’ont pas besoin de s’inquiéter, il n’est pas prévu que je devienne leur manager.

Quand mon responsable a lu mon rapport et mes recommandations, il me demande d’assurer l’intérim. J’ai eu la chance d’être leur manager pendant 9 mois, le temps d’accoucher de la première plateforme de production certifiée de l’un des produits phares de l’entreprise. Et de recruter un manager permanent. La relation avec l’équipe avait pourtant mal commencé – par une affirmation se révélant (bien involontairement) un grossier mensonge.

Quelles étaient ces recommandations faites à la direction, et plus généralement, quelles sont les choses à faire pour prendre à la volée le leadership d’une équipe déjà existante ? Voici 6 conseils pratiques que je soumet à votre réflexion.

Bien comprendre les attentes de la hiérarchie

Si vous êtes là aujourd’hui, à la tête d’une équipe constituée, c’est « à la place d’un autre ». Peut-être a-t’il été promu. Peut-être est-il parti. De son plein gré ou encouragé. Votre arrivée fait suite à des évènements, lesquels ont suscité le questionnement de votre propre hiérarchie. Votre première mission c’est d’obtenir de leur part leurs attentes, leurs objectifs, la façon dont ils évalueront le succès de la prise de poste. Comment souhaitent-ils positionner l’équipe ou la fonction vis-à-vis des autres? Souhaitent-ils développer l’activité? Quels sont les projets clés à réussir? Les transformations à opérer ? à préparer?
Les changements, permanents ou temporaires de leaders sont souvent l’occasion pour une direction d’ajuster la mission d’une équipe. Ce sont des périodes difficiles mais riches. Il faut en saisir pleinement le cadre.

Se faire une idée de la situation la plus objective possible

Si vous êtes là aujourd’hui, parions que la situation n’est pas simple. Mais il faut l’appréhender, la comprendre rapidement. Et le plus objectivement possible. Pour se faire, on échange avec les différentes parties prenantes.
Mon conseil pour limiter les biais de jugement : écouter tout le monde – mais dans le bon ordre.
1) Rencontrer en premier les membres de l’équipe. Pour se faire une idée de leur situation et de leur capacité sans interférences et sans jugements.
2) Rencontrer les anciens managers en second. Pour bénéficier de leur expérience en disposant déjà de quelques éléments permettant le recul nécessaire. Tip: même si son départ s’est fait dans la douleur, il est vraisemblable qu’il tienne à son équipe, et que pour l’aider il échangera volontiers avec vous.
3) Rencontrer les interfaces externes en dernier. Pour comprendre ce qui est attendu de l’extérieur.
Le premier que l’on écoute est celui qui peut le plus influencer le jugement. Cette séquence donne une « chance » à tous les membres de l’équipe, la star comme celui en difficulté, de démarrer dans un schéma d’équité.

Demander aux membres de l’équipe ce qu’ils feraient à votre place

Bien sur qu’ils ont des idées. Des idées de valeur! Mais ils ont aussi un vécu et les obtenir n’a rien de trivial. Une bonne moitié de la population ne les partagera pas si on ne les sollicite pas explicitement. Au delà d’une marque de confiance, une telle demande apporte trois bénéfices:
1) Evaluer la maturité des membres de l’équipe au vu des propositions qu’ils peuvent faire. Identifier celles et ceux qui ont une vue holistique de la situation. Et aussi parfois détecter ceux qui sont en difficulté.
2) Capturer des quick-wins (les « low-hanging fruits »). Démarrer avec des petites victoires est idéal pour initier une dynamique positive de changement.
3) Identifier les points essentiels et creuser certaines propositions pour les mettre en perspective. Pourquoi fais tu cette proposition ? Que veux tu améliorer en changeant cela? Pourquoi ne l’a-t’on pas fait jusque-là? Pleins de questions ouvertes pour enchainer…

Utiliser le SWOT

Le SWOT (Strength Weakness Opportunities Threats) est un support simple et efficace pour analyser une organisation. Il est facile à appréhender et à partager à 360 degrés avec son équipe et sa hiérarchie.
L’utilisation du SWOT est largement documentée en ligne.
On peut le construire seul ou en équipe.
On peut l’utiliser pour assoir la légitimité d’un plan d’action et supporter des demandes.
C’est l’un de mes outils fétiches !

Montrer l’exemple

Une prise de poste à la volée peut représenter un moment de flottement. Et pour le leader une charge de travail importante. Mais l’exemplarité doit rester de mise pour établir ou conserver un cadre.
De manière pratique, ça s’applique au quotidien (présence aux cérémonies et réunions), tenue des engagements sur les prises d’actions, discipline sur l’application des process, etc…
La pire chose à faire: zapper les points de contacts individuels, les « one-to-one ».

Faire les bonnes promesses et définir les bonnes attentes

Il est utile de formaliser ses attentes – pour ne pas prendre les membres de l’équipe au dépourvu. Les attentes opérationnelles bien sur, mais aussi celles sur ses valeurs, sur la façon de fonctionner, sur le comportement attendu.
Il est aussi important de partager ses limites dans sa capacité à aider l’équipe, et ne pas communiquer l’image d’un magicien.
L’erreur que j’ai faite en début de carrière et à laquelle j’essaie d’être vigilant, c’est d’éviter de faire des promesses que l’on ne peut pas tenir. Si non le retour de boomrang est douloureux.
Philippe Gabillier, dans son excellent ouvrage « L’éloge de l’optimisme » explique une nuance primordiale: la bonne attitude, c’est le pessimisme de chemin mais l’optimisme de but. Oui ça sera compliqué. Mais oui on va y arriver.

Récemment j’ai croisé une membre éminente de l’équipe citée en introduction. L’équipe s’est structurée, a grossi et est devenue une référence dans son écosystème. Ma collègue plaisante en me demandant si, avec mon équipe actuelle je me suis aussi présenté en disant « que je ne deviendrai jamais leur chef ». C’est maintenant une boutade. Mais toujours pas une entrée en matière à recommander !

Photo : Khajuraho (Inde) – quartier brahmane.